Les réseaux sociaux ont profondément transformé les modes de communication, brouillant les frontières entre sphères publique et privée. S’ils offrent un espace d’expression libre, ils sont également le théâtre de dérives telles que la désinformation, la haine en ligne, le harcèlement et la diffamation. Ces phénomènes posent des défis majeurs au droit togolais, qui doit s’adapter pour réguler efficacement ces nouveaux espaces numériques.
En effet, les réseaux sociaux constituent une innovation au défi juridique préoccupant. D’un côté, en tant que plateformes numériques, ils facilitent la création de communautés d’intérêt et d’échanges rapides. Cependant, ils reflètent également des tensions sociales, exacerbées par l’anonymat et la viralité des contenus. Initialement perçus comme des espaces échappant au droit, ils sont désormais reconnus comme des faits sociaux justiciables.
Le droit togolais, confronté à l’extraterritorialité du numérique, doit opérer une reterritorialisation à travers des politiques publiques, des mécanismes pénaux et la coopération internationale. En matière pénale, la compétence est établie par la localisation des infractions, permettant au droit togolais de s’appliquer aux comportements en ligne.
Aussi, la nature publique ou privée des propos diffusés sur un réseau social détermine leur justiciabilité. La loi togolaise sur la cybersécurité définit la communication au public par voie électronique, mais ne précise pas la communication privée. La jurisprudence étrangère, notamment française, introduit la notion de communauté d’intérêts, caractérisée par un groupe restreint d’individus partageant des affinités.
- Une publication sur Facebook visible par tous est considérée comme publique.
- Une publication restreinte à des amis proches est considérée comme privée.
- Le paramétrage du compte devient donc un élément déterminant pour qualifier juridiquement les propos.
Cette distinction a des conséquences majeures, notamment en matière d’infractions telles que la diffamation ou l’injure, où la publicité est une condition essentielle de la constitution de l’infraction. Quoi qu’il en soit, les réseaux peuvent porter atteinte aux droits de la personne prise individuellement (I) ou en groupe (II).
Les atteintes aux droits de la personnalité
-Protection pénale
Le Code pénal togolais protège la personne contre les atteintes à l’honneur (diffamation, injure) et à la vie privée.
- Diffamation : imputation d’un fait précis, attentatoire à l’honneur.
- Injure : expression outrageante, sans fait précis.
- Injures aggravées : propos à caractère raciste, sexiste ou homophobe entraînant des peines plus lourdes.
- Atteinte à la vie privée : diffusion de contenus sans consentement (photos, vidéos, conversations privées).
D’autres infractions spécifiques sont facilitées par les réseaux sociaux :
- Revenge porn
- Chantage
- Harcèlement sexuel
- Cyberharcèlement : non encore spécifiquement réprimé en droit togolais, mais indirectement sanctionné par d’autres dispositions pénales.
- Protection civile
La Constitution togolaise du 6 mai 2024 proclame, dans sa Déclaration des droits et devoirs fondamentaux, le respect de la vie privée et la présomption d’innocence.
- Droit au respect de la vie privée : tout citoyen peut s’opposer à la diffusion de contenus le concernant sans son accord.
- Droit à la présomption d’innocence : diffuser l’identité ou l’image d’une personne accusée avant jugement constitue une atteinte grave. Des réparations civiles (dommages-intérêts, publication rectificative) peuvent être exigées
Les atteintes au groupe social
– L’ordre public
Les réseaux sociaux, en tant que médias viraux, peuvent ébranler l’ordre public dans tous ses composantes à travers par exemple :
- La diffusion de fausses nouvelles : informations inventées ou falsifiées, susceptibles de créer panique, tensions sociales ou désordre.
- L’atteinte au moral des armées : publications malveillantes sur les forces de défense pouvant saper la discipline ou la confiance collective, sévèrement punies.
– Les représentants de l’autorité publique
Les autorités sont régulièrement prises pour cible dans les débats en ligne :
- Diffamation et injure : à l’égard du Président, du gouvernement, des magistrats, des diplomates, etc., punies par des amendes et des peines de prison avec ou sans sursis.
- Outrage : propos ou gestes visant à dégrader l’image d’un représentant ou des symboles de l’État.
La loi protège également le drapeau et l’hymne national, qui ne peuvent être tournés en dérision sans engager la responsabilité de l’auteur.
De nos jours, les réseaux sociaux, loin d’échapper au droit, appellent à un réajustement constant du cadre juridique existant. Le droit togolais dispose d’un socle normatif important pour protéger l’individu et l’ordre public, mais il lui manque parfois la souplesse nécessaire à l’innovation numérique.
La régulation juridique doit être accompagnée d’un effort d’éducation citoyenne au numérique. C’est à cette condition que les réseaux sociaux pourront être transformés en outils démocratiques au service de l’humain, plutôt qu’en instruments de chaos. Le défi est donc autant juridique que sociétal : éduquer les citoyens à un usage responsable et raisonné des technologies et former l’humain numérique d’aujourd’hui et de demain.