Pour décortiquer l’actualité politique au Togo, votre journal s’est entretenu avec le Président de Sursaut Togo, Monsieur Kofi Yamgnane. Il a bien voulu répondre à nos questions. Ceci dans une simplicité. Lecture !
Quelle lecture faites-vous de la situation politique en cette année pré -électorale ?
Je rentre du pays où je viens de passer 5 semaines très actives. Je me suis beaucoup déplacé sur le terrain. J’ai donc pu mesurer, du Nord au Sud, que la situation aussi bien politique, économique que sociale, est toujours aussi chaotique.
Sur le plan économique, la pauvreté gagne du terrain et j’ai pu constater que tous les Togolais n’étaient pas assurés de manger à leur faim à tous les repas, de se soigner ou d’envoyer leurs enfants à l’école.
Sur le plan politique, j’ai rencontré, soit individuellement, soit en réunion, la plupart des responsables de l’opposition.
J’ai noté beaucoup de bonne volonté pour aller vers l’union tant réclamée par le peuple togolais qui aspire à l’alternance politique. J’ai senti aussi des velléités de domination chez certains, mais j’espère -et j’y travaille- que la raison et le bon sens prévaudront.
En ce qui concerne la majorité parlementaire dont j’ai rencontré quelques membres, il me semble que celle-ci n’a tiré aucune leçon de l’histoire récente de notre pays : 23 dialogues sans succès, un rapport alarmant de l’ONU sur les Droits de l’homme, resté sans réponse depuis 2005, 22 engagements pris avec l’Europe sans le moindre début d’application, une insécurité galopante sur les routes togolaises, etc., et toujours la même morgue, le même mépris, la même inconscience…de la part d’une majorité essoufflée, sans imagination et sans ressort.
Vous m’avez compris : la situation du Togo est loin d’être enviable !
Jean-Pierre Fabre, le chef de file de l’opposition a rencontré pour la première fois depuis 2010, le chef de l’État pour des discussions sur les réformes constitutionnelles et institutionnelles, que pensez- vous de cette poignée de main entre les deux hommes ?
Oui j’étais au Togo lors de cette rencontre. Je pense que l’on peut en tirer une conclusion immédiate : le contentieux électoral qui opposait les deux hommes depuis le 4 mars 2010 est désormais purgé. M. Fabre a reconnu la pleine légitimité au Président Gnassingbé et c’est une bonne nouvelle pour le Togo ainsi que pour les Togolais qui défilaient tous les samedis à Lomé et qui vont donc pouvoir désormais vaquer à leurs occupations.
La deuxième leçon évidente est qu’en acceptant en solitaire cette invitation, M. Fabre a accepté de ” marginaliser ” les autres membres de l’opposition, non seulement l’Arc-en-Ciel, mais aussi tous les autres partis qui ne sont ni au CST, ni à Arc-en-Ciel. Comment peut-on se prétendre ” chef de file de l’opposition ” et négliger de saisir toutes les occasions de rassembler celle-ci ?
Les deux hommes s’opposent sur le lieu où doivent se dérouler les discussions sur les réformes. Quelle est votre position ? Assemblée Nationale ou un autre cadre ?
Dans la réalité de la loi, M. Fabre est formellement reconnu comme ” chef de file de l’opposition parlementaire “, titre qu’il a reconnu et qu’il est fier d’arborer, reconnaissant du même coup la régularité des élections législatives de juillet 2013. Dès lors, comment refuser le parlement comme cadre de discussion ? Pourtant, l’APG signé à Ouaga en 2006 avait clairement identifié un lieu de discussion plus consensuel ouvert à l’ensemble des parties prenantes : partis politiques présents ou non au parlement, organisations de la société civile, syndicats, représentants des chefs traditionnels et des églises… Il est vrai que comme à son habitude, l’UNIR, fille utérine du RPT, s’est assise sur l’APG comme elle l’a toujours fait de tous les accords issus de tous les dialogues.
Doit-on penser que l’ANC s’est désormais, elle aussi, alignée sur cette vision irresponsable du dialogue politique ?
Beaucoup de Togolais appellent à l’union de l’opposition pour la présidentielle de 2015, qu’en pensez-vous ?
Oui en effet et je les ai entendus partout dans le pays. Beaucoup d’initiatives, dont celle de ” L’Appel des Patriotes ” de Fulbert Attisso et de ses amis, sont prises pour rechercher cette union.
À SURSAUT, nous y travaillons aussi. Je souhaite de tout cœur que cette recherche de l’union des forces démocratiques soit couronnée de succès suffisamment tôt pour préparer activement et dans l’unité, l’alternance politique au Togo.
Avez-vous des contacts réguliers avec le CST ou Arc-en-Ciel et quels sont vos sujets de discussion?
Oui bien sûr nous sommes en contact dans le cadre de la recherche de cette union de l’opposition. Nous travaillons ensemble dans des réunions où nous échangeons librement les idées, en particulier avec l’Arc-en-Ciel, OBUTS et ” L’Appel des Patriotes “. L’idée maîtresse est d’organiser des ” états généraux ” de l’opposition auxquels seront invités tous nos compatriotes convaincus de la nécessité du changement et de l’inéluctabilité de l’alternance, gage de l’entrée du Togo dans l’ère de la démocratie.
Je déplore seulement que le CST refuse purement et simplement de prendre part à nos réflexions…mais nous espérons l’y amener et nous en avons encore le temps.
En mon absence, c’est notre députée, Mme Issolémo Koupokpa, qui nous représente avec efficacité et responsabilité.
Serez-vous candidat à l’élection présidentielle de 2015 ? Pourquoi ?
Oui assurément, car j’ai une ambition pour mon pays que j’aspire légitimement à gouverner pour lui apporter ma part de compétence ainsi que mon expérience acquise en d’autres lieux. J’ai démontré aux Togolais en 2008/2009, lors de ma précampagne pour la présidentielle de 2010, que je pouvais, en responsabilité, contribuer à leur émancipation et à leur développement, en leur adressant un vrai projet de société, le seul connu au Togo à cette période-là, établi avec eux et pour eux.
De plus, je pense qu’il ne faut jamais perdre de vue que le changement au Togo peut être une grande épreuve. Il demande doigté, capacité de tolérance et de pardon ainsi que charisme incontesté de la part de celui qui va assurer la transition. Je pense pouvoir incarner ces éléments et donner les gages nécessaires aux sortants et ainsi éviter la déstabilisation qui pourrait guetter le pays.
Le moment venu, nous repartirons vers le peuple pour l’élaboration de notre nouveau projet de société. Nous travaillerons encore de la même manière : imagination, efficacité, simplicité, proximité, empathie.
Et si votre candidature subit encore des turpitudes comme en 2010, qu’allez-vous faire ?
Je pense que cela ne se reproduira pas. À cause d’une série d’erreurs, on peut poser des actes qui frisent le ridicule aux yeux du monde entier : c’est ce qu’a fait le pouvoir togolais en m’empêchant d’aller devant les électeurs en 2010, un véritable déni de droits de l’homme. Aucun homme responsable ne peut se permettre de poser deux fois ce même genre d’acte !
J’ai appris à connaître ce pouvoir et lui aussi me connaît mieux aujourd’hui. Il sait l’attente que suscite ma volonté de servir mon peuple ; il sait donc désormais les risques qu’il prendrait ainsi à m’opposer des arguments sans fondements.
Moi je n’ai aucun conflit personnel avec qui que ce soit au sein de ce pouvoir ; je lui demande simplement de laisser s’exprimer dans la clarté la volonté du peuple. Aujourd’hui comme hier, le pouvoir répète à l’envie les mêmes litanies : ” personne ne connaît Kofi ici… “. Je réponds : ” chiche, alors laissez Kofi aller aux élections afin que le peuple lui démontre que personne ne le connaît ”
Faure Gnassingbé doit-il se présenter encore ou doit-il rendre le tablier, ayant déjà fait 2 mandats ?
Rien n’oblige Faure Gnassingbé à ” rendre le tablier ” au bout de deux mandats ! Puisque la Constitution le lui permet, moi je souhaite qu’il se représente afin que je lui démontre par les urnes que c’est la candidature de trop, car je le battrai à la loyale : absence de fraudes, transparence du scrutin, publication des vrais résultats sortis des urnes.
Oui, chiche !
Quel est votre message pour le peuple togolais à un an de l’élection présidentielle ?
Je demande au peuple togolais de rester fidèle à lui-même : pas de réaction devant les provocations ; pas d’aspiration à la vengeance ; pas de peur ; refus de l’asservissement par l’argent.
Je souhaite qu’il nourrisse l’espoir d’un changement en 2015 dans la paix et qu’il en soit le bâtisseur.
En retour, je lui promets une victoire claire puis une gouvernance nouvelle pour une société nouvelle, une société de paix, d’espoir et de développement, en lieu et place de la société de peur et de violence qu’il connaît aujourd’hui.
Propos recueillis à Paris par Crédo TETTEH