» Le Togo vient d’être frappé par un grand malheur. Il s’agit d’une véritable catastrophe nationale ». C’était par cette phrase lourde de sens, et pleine d’émotion au soir d’un samedi 5 février 2005, que l’ancien Premier ministre, Koffi Sama , annonçait au Peuple togolais le rappel à Dieu du Général Gnassingbé Eyadéma, à la Télévision nationale.
Oui, une catastrophe nationale car personne ne présageait cela. Lomé, la capitale et les villes de l’intérieur du pays ressemblaient du coup à un cimetière. Tout était calme. Les voies et rues presque désertes. Cependant, ça ruminait à voix très basse dans les chambres et cours des maisons, dont certaines étaient fermées à double tours. D’autres, un peu entrouvertes, espérant le retour à la maison des fils et filles qui étaient au dehors à l’annonce de la bien triste nouvelle. Les Togolais s’interrogeaient. Des questionnements sur le lendemain de notre pays. Des interrogations qui avaient tout leur sens tant de quoi sera fait le lendemain était une équation à plusieurs inconnus.
Le Général Gnassingbé Eyadéma, le colosse, était vraiment décédé. À 69 ans, dont trente-huit au pouvoir, rejoignant ainsi la demeure de ses ancêtres. Même la Nature en avait donné des signes. De violents et interrogateurs vents soufflèrent sur Lomé et l’intérieur du Togo. Sur les ondes de la radio et de la télévision nationales, les musiques profanes ou du monde cédèrent les plages à celles de deuil, diffusées et entrecoupées de communiqués de désolation.
Au même moment, les laboratoires employaient les réactifs, tout et tout pour que les résultats qui en sortiraient, soient satisfaisants et surtout acceptables. Il fallait du coup réfléchir à toutes les situations et privilégier celle qui ne rimerait pas avec désordre et décadence. Mais continuité au sommet de l’Etat, avec l’assurance que les forces armées et de sécurité veilleront à ce que l’ordre, la sécurité et la paix règnent sur toute l’étendue du territoire national.
EYADEMA, LE NEGOCIATEUR HORS PAIR
A l’allure fière et imposante, le Général Gnassingbé Eyadéma incarnait respect et admiration. Partout et en tout temps. Il était très intelligent et rusé à la fois. Armé donc de cette intelligence et de cette ruse enviables, Eyadéma fut un négociateur hors pair. Il s’investissait à ramener la confiance, la paix et l’assurance dans les cœurs meurtris. Il avait ce don de la parole qui apaise, ce sens profond de la conciliation en toute chose. Il savait arrondir les angles au besoin et faire converger les esprits autrefois aux antipodes à s’accorder sur l’essentiel.
Le Général Gnassingbé Eyadéma savait manier les outils vitaux et essentiels à sa disposition et à bon escient. Ce qui lui avait valu des lauriers à l’international en réconciliant des frères ennemis, en rapprochant des positions éloignées. C’était en d’autres termes le big chef de village qui était assez audible et suscitait considération, admiration et dévotion. Partout où il passait, il faisait l’objet de curiosité. Tout le monde, du moins ceux et celles qui avaient eu cette grâce de le rencontrer une fois de leur vie, découvraient sa dimension inextricable, sa richesse d’esprit, son leadership naturel, découlant d’une grâce divine. Il ne forçait jamais les choses. Tout était naturel chez lui et en lui. Sa simplicité interrogeait. Son humour questionnait. Il était un artiste accompli, dont lui seul avait le secret. On serait dans le jargon théâtral qu’on le définirait côté cour, côté jardin. Gnassingbé Eyadéma était un tout. Une somme incommensurable. Un domaine de définition assez particulier et insaisissable. Ce qui, en réalité, faisait sa force, son poids.
Eyadéma, le mythe vivant, de son époque
Très considéré et respecté par son entourage et même ses adversaires politiques, Gnassingbé Eyadéma était un mythe vivant de son époque. Vous pouvez beau le détester, mais une fois l’ayant rencontré ou côtoyé, vous changerez d’avis aussitôt, car la description que ses adversaires faisaient de lui étaient totalement en déphasage et même en contradiction avec la réalité. Ce n’était pas le diable, ni le démon. Ni le bon Dieu non plus. Il était tout simplement un des nôtres aux dons multiples doté d’une sagesse profonde et admirable. Il savait assez facilement trouver les mots justes et parfaits pour toutes les situations.
Sous le règne de Feu Général Gnassingbé Eyadéma, le Togo a connu des moments de gloire, mais également de peines mitigées. Des périodes de troubles sociopolitiques ont jalonné son règne dans les années 90, avec moult compréhensions de la notion de » démocratie « . Ses détracteurs et adversaires politiques avaient essayé de mélanger les torchons et les serviettes et lui faire porter les responsabilités multiples. Cependant, assez interrogateur et silencieux, il a su échapper à de nombreux montages grossiers devant le peindre en noir. Ne dit-on pas toujours que » le silence est une musique » ?
L’une des forces de Feu Eyadéma résidait dans son calme observateur, sa culture et sa sagesse. Il savait très tôt se laver les mains et manger à la table des Grands. Ce qui n’était pas donné à tout le monde.
Ajouté à sa » royauté naturelle » en décidant d’employant un qualificatif abusif à l’occasion, Gnassingbé Eyadéma s’était entouré de bonnes personnes pour la gestion des affaires de la cité. Il bénéficiait de nombreuses expertises avérées. Des intellectuels l’entouraient et l’aidaient à prendre les bonnes postures, adaptées aux situations de l’heure. Il faut également rappelé qu’il était assez proche de toutes les couches sociales. Il recevait et écoutait tout le monde. Même ceux et celles qui n’ont jamais mis pieds à l’école. Il les considérait au même titre que les diplômés de la Sorbonne. Gnassingbé Eyadéma fut un vase. Un vase béni et sacré qui ne ressortait que les bonnes choses. En toute humilité, simplicité, discrétion, modération.
Un héritage très bien légué ou transmis à son successeur, le fruit de ses entrailles, Faure Essozimna Gnassingbé, qui est un personnage discret, réputé modéré, très impliqué aux côtés de son feu Père dans les négociations avec l’opposition et avec l’Union européenne. Toutes proportions gardées, Faure Gnassingbé est à Eyadéma ce que Joseph Kabila, Bachar al-Assad ou Mohammed VI sont à leurs pères respectifs : élevés dans l’ombre tutélaire et parfois écrasante de leaders » historiques « , ils se sont forgés une personnalité invisible, jusqu’à leur accession au pouvoir, selon Jeune Afrique publié le 14 février 2025.
Pour rappel, décédé le 5 février 2005, le Général Gnassingbé Eyadéma, « Père de la Nation togolaise », a été pleuré, chanté et loué par ses « fils et filles », du 12 au 14 mars 2005 à Lomé au palais des Congrès et dans son village natal, Pya. Ce, à l’occasion de ses obsèques officielles.
Emotion, ferveur religieuse et populaire, recueillement, voilà les sentiments dominants lors de ses obsèques nationales à Lomé. La capitale du Togo avait accueilli un parterre de chefs d’Etat de la sous-région (Olusegun Obasanjo, Mathieu Kérékou, Laurent Gbagbo, Mamadou Tanja, John Kufuor) et d’anciens chefs d’Etat africains (Joaquim Chissano, Yakubu Gowon) ainsi que Mohamed Ibn Chambass, secrétaire exécutif de la CEDEAO. Pour les hommages. Il fut donc le négociateur hors pair, Gnassingbé Eyadéma. Aujourd’hui, 20 ans déjà. RIP !
Crédo TETTEH