La table ronde de haut niveau sur les engrais et la santé des sols s’est achevée la semaine dernière dans la capitale togolaise. Placé sous le thème « Cultiver l’avenir en nourrissant les sols », la rencontre qui a réuni 3 Chefs d’Etat, des ministres et des experts de la Banque Mondiale, de la CEDEAO, des structures productrices d’engrais (l’Office chérifien des phosphates, Dangoté), leur a permis de faire le tour de la question. Les débats d’une haute qualité ont abouti à une feuille de route sur la santé des sols contenue dans une déclaration dite de Lomé qui a été adoptée par les participants.
Prise de conscience
Portée par la Commission de la CEDEAO, la Déclaration de Lomé relève que les Etats membres de la CEDEAO, de l’UEMOA et du CILSS s’engagent, avec le soutien de ses partenaires techniques et financiers et du Secteur Privé, à améliorer d’urgence l’accès aux engrais minéraux et organiques des petits producteurs et productrices agricoles, en mettant l’accent sur les cultures assurant la Sécurité et la Souveraineté Alimentaires des populations, notamment à travers des programmes d’interventions publiques ciblés (subventions intelligentes, appui budgétaire pour l’acquisition d’engrais, etc.). « Conscients de la nécessité et l’urgence d’agir individuellement et collectivement pour changer significativement les trajectoires des systèmes de production agroalimentaire en faveur d’une productivité agricole plus durable et résiliente dont la santé des sols est la pierre angulaire, nous déclarons l’engrais, tant de source minérale qu’organique, produit stratégique sans frontières, libre de circuler sans entraves, dans l’espace CEDEAO, UEMOA et CILSS conformément aux dispositifs règlementaires régionaux en vigueur ou à améliorer ; Déclarons la santé des sols comme un pilier critique de la sécurité alimentaire et d’un modèle agricole durable ; et par conséquent, les programmes de sa préservation/restauration doivent bénéficier du financement des partenaires au développement et des budgets des Etats », lit-on dans la Déclaration.
Ainsi, tous les États membres de la CEDEAO, de l’UEMOA et du CILSS vont créer un environnement favorable pour un accès effectif des producteurs et productrices agricoles aux engrais et autres intrants agricoles, et ; la mise en œuvre de stratégies et de plans de Gestion Intégrée de la Fertilité des Sols et la Santé des Sols.
C’est ce qu’on peut appeler une profession de foi des dirigeants des Etats de l’Afrique de l’Ouest et leurs partenaires pour booster l’agriculture dans la région et au Sahel.
Faure Gnassingbé bien au fait de la question
Le chef de l’Etat Faure Gnassingbé l’a si bien illustré en ces termes : « … derrière les mots d’intrants et de santé des sols, c’est la vie quotidienne de millions d’Africains et surtout leur sécurité alimentaire qui est en jeu. Dès lors, il n’y a pas de sujet plus fondamental que celui de l’agriculture régionale et particulièrement de la gestion de la terre qui la porte ». Il y voit une question de souveraineté alimentaire d’autant qu’après des décennies de constante amélioration, la faim est malheureusement de retour sur le continent africain. « Dans la sous-région, 30 millions de personnes étaient en état de sous-nutrition en 2010. En dix ans, ce chiffre a presque doublé à 57 millions de personnes qui étaient en sous-nutrition dans la région en 2021 », renseigne Faure Gnassingbé. Selon les estimations de la banque Mondiale, ce sont 41,9 millions de personnes qui pourraient se retrouver en situation d’insécurité alimentaire entre juin et août 2023. A cette urgence humanitaire, vient s’ajouter la tendance de fond du dynamisme des démographies des pays de la sous-région. Bientôt, le couloir urbain reliant Abidjan à Lagos comptera 50 millions de personnes, une croissance qui se poursuivra durant des décennies. Il faut donc agir…
Le Togo, une longueur d’avance…
Agir, Faure Gnassingbé l’a compris très tôt et l’a traduit dans la Feuille de route gouvernementale Togo 2025 qui met un accent particulier sur l’amélioration de la productivité et des rendements agricoles. L’organisation des fora nationaux des producteurs agricoles (FOPAT) dans toutes les régions du pays durant les trois premiers mois de l’année répond à un tel soucis. L’objectif pour le secteur agricole y est de garantir durablement la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Togo par la production nationale, et de renforcer les industries de transformation agroalimentaire, source de création d’emplois décents et durables, en particulier pour les femmes et les jeunes.
Pour y parvenir, le gouvernement togolais s’est employé, à l’amélioration de la santé des sols et à mobiliser d’importantes quantités d’engrais, à travers notamment : l’établissement de la carte de fertilité des sols assortie de recommandations de nouvelles formules d’engrais spécifiques aux différentes zones de production ; la facilitation de l’accès aux intrants notamment les engrais minéraux grâce à la disponibilité de ces engrais et l’octroi aux petits producteurs de subvention sur le prix des engrais ; la promotion de la fabrication et de l’utilisation des engrais organiques grâce au soutien des initiatives locales pour la préservation de l’environnement et la lutte contre le changement climatique ; et la promotion des pratiques d’agriculture durable dans les exploitations notamment l’agroforesterie, l’agroécologie et l’agriculture biologique, la gestion intégrée de la fertilité des sols.
Le rendement à échelle
Pour Faure Gnassingbé, la pression grandissante sur le foncier et l’impératif de maitriser la déforestation doivent encourager à augmenter des rendements qui, jusqu’à présent, sont en deca des recommandations. En 2006, la déclaration d’Abidjan s’était fixé l’objectif d’une utilisation moyenne en Afrique de 50kg d’engrais à l’hectare d’ici à 2015. « Nous en sommes malheureusement bien loin. En 1961, l’Afrique subsaharienne utilisait en moyenne 6kg d’engrais par hectare. En 2021, ce chiffre avait doucement grimpé à 20kg par hectare. Sur la même période, l’utilisation d’engrais en Asie était passée de 20kg à 150kg à l’hectare », fait observer le Dirigeant togolais. Aussi, le rendement des céréales n’a cru que modestement, passant d’une tonne à l’hectare en 1961 à 1,75 en 2021. En comparaison, le rendement céréalier en Asie est passé d’un peu plus d’une tonne à plus de 4 tonnes à l’hectare. « Les intrants, et en particulier les engrais, joueront ici un double rôle : combinés à une mécanisation plus importante, ils permettront de profiter pleinement des semences améliorées ; utilisés judicieusement, ils aideront à atténuer l’inévitable perte de fertilité qu’implique une utilisation plus intensive des terres et des jachères plus courtes », indique Faure Gnassingbé.
L’appui de la Banque Mondiale
L’institution de Bretton Woods qui accompagne déjà les pays de la sous-région dans l’achat d’engrais, a réitéré sa disposition à poursuivre ses efforts relever les défis structurels persistants, afin d’encourager et promouvoir le développement d’un système agricole équitable, productif et durable, qui réponde aux besoins alimentaires et nutritionnels des populations et qui crée des emplois pour les jeunes.
A en croire Ousmane Diagana, le vice-président pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre de la Banque mondiale, à court terme, la Banque mondiale s’engage à travailler aux côtés des pays de la région pour faciliter l’acquisition des engrais tout en soutenant la mise en place des mécanismes de subventions ciblées, efficaces et transparents en partenariat avec le secteur privé. A moyen terme, elle va augmenter ses investissements dans le secteur partant de plus de 4 milliards des fonds IDA déjà approuvés et en cours d’exécution en Afrique de l’Ouest et centrale à plus de 5,5 milliards de dollars d’ici 2024. « Nous accompagnerons les projets bancables de production d’engrais minéraux et organiques, en particulier la production des engrais verts », a déclaré Ousmane Diagana.